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Photo de Miguel Royal |
MARC-ANDRE LEDOUX, Multi-Entrepreneur social
Né pour entreprendre, M. Ledoux est un québécois
installé au Sénégal depuis 2006. C’est un chef d’entreprise hors du commun. Il
dirige trois entreprises « sociales ». De l’édition en passant par l’écologie
pour l’investissement, il tente de démontrer la viabilité de ce type
d’entreprise. Il nous reçoit dans les locaux de Jokkalabs dans le quartier
Sacre cœur 3 de Dakar. Il nous livre sa
conception de l’entrepreneuriat social à travers cette interview.
Marc-André Ledoux, Expliquez-nous ce qu’on entend par entrepreneuriat
social ?
Moi, j’ai une conception de
l’entreprise sociale qui pourrait ne pas être ce qui se dit habituellement ou
ce que vous connaissez. Avec le Consortium Africain pour l’Entrepreneuriat
Social, j’ai rédigé la charte africaine pour l’entrepreneuriat social. C’est un
document qui expose ma vision sur le sujet. En effet, l’entreprise sociale vise
également le profit. « Social » ne veut pas toujours dit
« gratuité » comme les gens le pensent. Ce n’est pas une entreprise
humanitaire (Ong, etc.). Elle doit chercher la rentabilité tout en ayant
d’impact social. C’est une logique dialectique. L’entreprise sociale est à but
lucratif. En claire, l’entrepreneuriat social se base la gestion participative
et l’équité pour un développement authentique. C’est une réponse endogène à la
situation d’un milieu précis. C’est une alternative pour le développement
économique et social.
Comment est-ce que vous divulguez cette conception de
l’entreprise sociale ?
Le tout ne suffit pas de
théoriser mais il faut aussi se mettre à la pratique. Donner l’exemple. C’est
pourquoi, j’ai crée pour le moment trois entreprises qui roulent avec les
règles de l’entreprise sociale telle que je l’ai énoncé. D’abord, il y a les
Nouvelles Editions Numériques Africaines (NENA) pour diffuser des contenus
écrits purement africains grâce à la Librairie numérique Africaine que nous
avons mise en place. Ensuite, j’interviens dans l’énergie domestique avec le
développement des équipements pouvant utilisés des combustibles écologiques
(fours, réchauds, …). En plus, j’ai installé une société d’investissement pour
insuffler un nouveau développement économique sur le continent à travers la
multiplication des entreprises sociales. Il s’agit des Entreprises Sociales
d’Afrique (ESA).
Mais aussi, j’anime des
conférences. Par exemple, en juin 2015, la Fondation Rosa Luxembourg a consacré
une séance de ses rencontres « Les samedis de l’économie ». Là, j’ai analysé
avec rigueur les discours sur l’entrepreneuriat social. En plus, je présente
aussi par moment des communications à l’Ecole Sup’Deco. Cela permet aux
étudiants de mieux cerner l’importance de repenser la création d’entreprise.
Comment financez-vous toutes ces entreprises ?
Au fait, ce sont des entreprises
qui se reposent sur une forme de financement qui n’est pas classique. On parle de
financement social. C’est du méso-financement. L’entrepreneur social ne tend
pas la main aux banques mais il développe une relation de confiance entre ses
collaborateurs qui tous participent au financement de l’entreprise. C’est un
financement collectif. Il peut y avoir des mécènes extérieurs mais on s’assure
que les dividendes seront partagés que cela soit les bénéfices ou la perte. Les
charges sont partagés quelque soit le cas. C’est une image de la finance
islamique.
Connaissez-vous d’exemple d’entreprise sociale au Sénégal
qui est réussie ?
Oui, je connais une
entreprise sociale qui se démarque. C’est une initiative locale. Le Centre de
traitement de déchets plastiques Proplast.
Une entreprise écologique gérée par des femmes de Thiès. Depuis sa mise sur
pied en 1998, elle fait un travail véritablement social par le ramassage et le
recyclage de centaines de tonnes de déchets plastique.
Quel est le profil type d’un entrepreneur social ?
L’entreprise sociale est un
moyen pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux d’un milieu et
même d’un pays voire un continent. L’entrepreneur social doit être animé de la
volonté de servir sa communauté. Il doit faire preuve d’une grande curiosité
intellectuelle, de tolérance, d’ouverture d’esprit, de frugalité, et de
qualités éthiques. C’est une personne qui porte une vision. Il doit être un
stratège et développer l’art de la pensée dialectique. C’est une personne
frugale.
D’ailleurs, l’entrepreneur
social peut entreprendre dans n’importe quel domaine. Il suffit qu’il décèle une
opportunité rentable dans sa communauté. Que cela soit dans l’éducation, les
droits de l’homme, le développement économique, etc.
Donc une formation en création d’entreprise ne lui est
pas nécessaire ?
Exactement. Peut-importe sa
formation, il peut engendrer une entreprise sociale.
Avec vos expériences, quelles sont les difficultés que
vous avez rencontrées en tant qu’entrepreneurs social ?
Tout d’abord, il faut
comprendre que l’entrepreneuriat social est une passion pour moi. Donc je vois
cette initiative grande. Ce qui m’amène à l’aborder avec beaucoup de
circonspection et de tact. Ceci dit, je ne parle pas de difficultés mais plutôt
de défis. Le principal défi est l’investissement. Les gens ne sont pas encore
habitués à ce genre d’entreprise, ce qui fait qu’ils sont réticents. Il se pose
alors la question de partenariat. Ensuite, il faut trouver des personnes qui
comprennent la méthodologie et le fonctionnement d’une telle entreprise pour
pouvoir collaborer. Ce qui n’est pas toujours évident. En quelques sortes, tels
sont les défis que j’essaie de relever.
L’Etat peut-il venir en aide à une entreprise sociale ?
Ce n’est pas envisageable.
L’entreprise sociale est autonome et indépendante des aides de l’Etat. Elle n’en
a pas besoin. Du moins, je n’ai pas en vu de cas où l’Etat a contribué dans le
montage d’une entreprise sociale. Comme je le dit souvent, les pouvoirs publics
ont montré leur limite dans nos pays. De façon globale, c’est tout le système capitaliste
qui s’essouffle. Ce système n’a pas d’avenir. On ne peut plus rien attendre
d’eux. C’est pourquoi, l’entrepreneur social mise uniquement sur la gestion participative. Cela implique une
retro-ouverture de l’entreprise pour se financer.