C’est
un prêt à reporter que le marché hebdomadaire de friperie de Gueule Tapée offre
à ses usagers. Issus de différentes catégories sociales, ces personnes se
basent sur le vil prix des articles dits de « qualité ». Reportage
L’ambiance qui règne de part et d’autre du rond-point en
face de Sham Score est toute particulière cet après-midi. Malgré l’absence du
soleil au zénith, l’atmosphère des lieux est surchauffée. C’est le marché
hebdomadaire de friperie qui s’anime. Nous sommes le mercredi dernier.
L’aller-retour incessant des cars rapides et des
« Diaga Ndiaye » donne un timbre sonore bruyant à l’endroit. Ceci
amplifie l’air autour du croisement Boulevard Gueule Tapée x Avenir BlaiseDiagne. Ici, ce sont des milliers de tentes qui sont disposées à perte de vue.
Des tas de vêtements par ci, chaussures par là, et plus loin, des sacs, des
chapeaux et des draps. C’est un véritable marché de friperie qui vient de poser
ses balles entre trois quartiers populaires de Dakar : Gueule Tapée, Fass
et Médina.
Jeunes, adultes et personnes de troisième âge se côtoient
dans les allées exigües de ce marché atypique. Ils sont à la recherche de leur
goût car ce n’est pas le prix qui pose problème. Sur ces innombrables étables
garnis de ballots en majorité de vêtements, c’est l’offre qui attend la
demande.
La
loi du bas prix
Fatou Badiane tourne et retourne le tas d’habits devant
elle. Avec sa forme svelte, l’étudiante en licence d’Anglais à l’universitéCheikh Anta Diop tire un collant gris. Elle semble impressionnée par la qualité
du tissu. « Ici, c’est plus facile de trouver des habits de qualité et
surtout c’est à moindre coût. Ce collant est à 500 francs cfa » annonce
–t-elle avec satisfecit. Non loin d’elle, Madame Carole prends, sourire aux
lèvres, le sachet que lui tends un vieux vêtu de caftan. Elle lui remet
aussitôt deux billets de 2000 francs cfa. Tel est le prix d’achat de ses quatre
soutiens-gorges. « J’adore les bons marchés. Le prix est abordable.»
confesse-t-elle. Cette chalande est une française retraitée qui vit au Sénégal
depuis 20 ans. Habillée en robe bleu ciel et tapette en cuir aux pieds, elle fait
habituellement ses achats au marché de mercredi. Elle le trouve « très
conviviale ». Elle renseigne sur la nature diverse des personnes qui
fréquentent ce marché.
Mabel Guisse est tiré à quatre épingles. Dans une chemise
verte à manche longue et pantalon, il ausculte les pairs de Tennis entre ses
mains. Il est en effet un professeur d’éducation physique et sportive à Dakar.
Il confirme aussi le vil prix des articles en comparaison à des boutiques de
ville. Après une vingtaine de stands de ce dernier, c’est un ancien combattant
qui justifie cette réalité. A 84 ans, El Hadj Oumar Ndiaye est un passionné de
l’horlogerie. C’est pour réparer deux de ses montres qu’il est venu au marché.
Avec une allure souple renforcée par le poids de l’âge, il est assis et tient
jalousement son chapelet de prière autour de son poigné gauche. Ainsi, ce
marché est non seulement prisé par les étudiants, retrouvés en majorité dans
ses coins, mais aussi par les autres
couches sociales de la société.
L’affluence va sans cesse croissante. Il est presque 18 heures.
Visiblement, c’est une heure de pointe. Les ruelles gonflent de monde. La
circulation devient dense. Ça bouge. Une forme de vente à la criée s’impose. Comme
l’appel du muezzin, ces fripiers tentent d’exciter la clientèle en aiguisant leur
volonté d’achat. Le crépuscule qui s’annonce semble être à l’origine de cette
accélération de rythme.
Pour jouer sa partition, Ibrahima Diagne valorise sa
corde vocale. Habillé en t-shirt blanc et jean, c’est avec sa taille élancée
qu’il se tient debout sur son étable rempli de body, robes, et pleins d’habits
pour femme. Il se lance dans une tentative de séduction. Tout ceci avec la danse
sur le son mélodieux produit par ses mains avec la chanson «Adja nieuweul, damay wanetère ; Adja nieuweul, Adja
dikkeul ; Adja kholal, dikkeul cii mane ; kou beugg lou bakh nieuweul
fi ; Sagnsé la yorr, Kou beugg na nieuw fi ». En clair, il invite les femmes à reconnaitre
le « bon goût ». Cette stratégie va montrer son efficacité. Le
nombre de femmes attroupées devant lui à faire le tri s’accroît. Pour attirer
les clients, d’autres vendeurs préfèrent les haut-parleurs. A chacun ses moyens.
Malgré les prix que nombre de clients jugent très
accessibles, les invendus hantent le sommeil des marchands. Sans dévoiler son
chiffre d’affaire, Moustapha Diouf se plaint de la mévente. Il indexe la mauvaise
surprise que renferment parfois les balles de tissus. « Nous achetons les
balles de tissus chez les grossistes. Elles viennent de l’Europe et des Etats-Unis.
Leur prix dépend. Tu peux trouver des habits de très mauvaise qualité.
Inch’Allah, c’est la chance » explique-t-il.
Un
marché ambulant
Loin du désordre observable sur le marché de Colobane (un
point de vente reconnu pour la friperie) où plusieurs étables de vêtements se
succèdent sur le trottoir, ici tout est en ordre. Le marché de mercredi de
Gueule Tapée compte des milliers de marchands ambulants. D’une capacité de 2000
places, le marché est monté la veille avec des stands métalliques par l’équipe
logistique de la société M.A.D.S. C’est une entreprise créée en 2003 qui
organise les marchés hebdomadaires à Dakar. D’une superficie de 4m², chaque stand
dispose de toiture en bâche. Numérotés, ses abris reviennent à un prix
standard. « Chaque vendeur paye 2400 francs par mois pour occuper une
place» informe Cheikh Toure, le responsable administration et vie au niveau des
Marchés de M.A.D.S. Il va continuer pour énumérer tous les lieux où le marché
s’installe. « En plus du mercredi, le marché se déplace à Guediawaye les
jeudis, à Biscuiterie les vendredis, à Castor les samedis, à Pikine les
dimanches, à Pate d’oie les lundis et à Grand Dakar les mardis »
conclut-il.
Le marché de friperie de Gueule Tapée est un marché de
proximité. Vu le nombre important de personnes qui s’y approvisionnent, il
parait évident que ce style de marché hebdomadaire est venu combler le désir d’achat
d’une frange importante de sénégalais. Sans doute, qu’il va rester alors
longtemps.